Henry Miller
Henry Miller, le grand écrivain américain, est certainement l’un de mes auteurs préférés. Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous quelques pages du « Colosse de Maroussi ». Ecrit pendant la seconde guerre mondiale, non seulement nous est restituée magnifiquement la spiritualité toujours vivante de la Grèce antique mais sont déjà fustigés ceux qui, enfermés dans leurs faux savoirs, tendent à nous priver de toutes les voies de salut, y compris dans l’exercice de cet art difficile que l’on appelle médecine.
C’est un cadeau aux meilleurs de nos praticiens, empêchés d’exercer au moment où l’on avait le plus besoin d’eux – je parle bien sûr du délire collectif « Covid-19 » – et dont le retour fort attendu et sans cesse retardé par des politiciens qui ne pouvaient supporter de perdre la face et reconnaître leur culpabilité montre bien que, comme autrefois, derrière les virus se cachent de bien plus sordides encore intentions, tout aussi lucratives : la guerre.
Seconde guerre mondiale
« La journée commença dans une paix sublime. C’était mon premier vrai coup d’oeil sur le Péloponèse. Plus qu’un coup d’oeil d’ailleurs, c’était une large vision s’ouvrant sur un monde de silence et d’immobilité, le genre de monde dont l’homme héritera un jour, lorsqu’il aura cessé de se complaire au meurtre et à la rapine. /…/ il n’y a ici nulle trace de laideur, que ce soit dans la ligne, la couleur, la forme, la particularité ou le sentiment. Tout est perfection pure, comme la musique de Mozart. En vérité, j’oserai même dire que la présence de Mozart se fait sentir ici plus que nulle part au monde. La route d’Epidaure est celle de la création. On ne cherche plus. On se tait, peu à peu réduit au silence par la paix qui descend des commencements mystérieux. Si l’on pouvait parler, l’on deviendrait mélodie. Rien, ici, qui se puisse saisir, thésauriser ou accaparer; rien que l’effondrement des murs qui retiennent l’esprit captif. Le paysage ne se dérobe pas; il s’installe dans les lieux ouverts du coeur; il y afflue, s’accumule, dépossède. Ce n’est plus une randonnée à travers quoi que ce soit -la Nature, mettons, si vous voulez – c’est la participation à une déroute, une débâcle des forces de la cupidité, de la malveillance, de l’envie, de l’égoïsme, de la rancoeur, de l’intolérance, de l’orgueil, de l’arrogance, de la ruse, de la duplicité, etc.C’est le matin du premier jour de la grande paix: celle du coeur, qui vient avec la reddition totale. Il a fallu que je vienne à Epidaure pour connaître le sens véritable de la paix. /…/ La paix du coeur est positive et invincible, ne pose pas de conditions, ne requiert pas de sauvegardes. Elle se contente d’être. Si elle est victoire, c’est une victoire d’un genre singulier; car elle repose entièrement sur la reddition totale – et volontaire, bien sûr. Il n’y a, pour moi, rien de mystérieux dans la nature des cures qu’opéra jadis ce grand centre thérapeutique du monde antique. Ici, le guérisseur lui-même trouvait la guérison: prélude essentiel au développement de l’art, qui est, non pas médical, mais religieux. Deuxièmement, le patient était guéri avant même de recevoir la guérison. /…/ La Nature ne peut guérir que lorsque l’homme a su reconnaître sa place dans le monde, et sa place est, non pas dans la Nature /…/ mais dans son propre règne: l’humain, intermédiaire entre le naturel et le divin.Pour les spécimens sous-humains de notre âge enténébré de science, le rituel et le culte associés à l’art de guérir, tel qu’on le pratiquait à Epidaure, paraissent relever de la pure gogoterie. Dans notre monde, l’aveugle guide l’aveugle, et le malade va demander au malade de le guérir. Nous sommes en progrès constant, mais un progrès qui conduit à la table d’opération, à l’hospice des pauvres, à l’asile d’aliénés, aux tranchées. Nous n’avons pas de guérisseurs – rien que des bouchers se prévalant de leur connaissance de l’anatomie pour avoir droit à des diplômes, lesquels, à leur tour, leur donnent le droit de charcuter dans nos maux ou de les amputer, en sorte que nous puissions continuer à vivre en infirmes, en attendant d’être bons pour l’abattoir. Nous claironnons la découverte de telle ou telle cure, nous gardant de mentionner les maladies nouvelles que nous avons créées en chemin. L’exercice du culte médical fait beaucoup penser à la manière d’agir des hautes instances militaires – leurs triomphants communiqués de victoire sont autant d’os à ronger qu’on nous jette pour mieux cacher la mort et le désastre. /…/ Ce que l’homme veut, c’est la paix, afin de pouvoir vivre. La défaite du voisin n’assure pas plus la paix que la guérison du cancer, la santé. La vie, pour l’homme, ne commence pas avec la victoire sur l’ennemi; pas plus qu’une série de cures interminables n’est pour lui le début de la santé. La joie de vivre est le fait de la paix /…/. Personne ne peut se vanter de savoir ce qu’est la joie tant qu’il n’a pas connu, d’expérience, la paix. Et sans la joie il n’y a pas de vie, quand bien même on aurait douze automobiles, six majordomes, un château, une chapelle privée et un abri à l’épreuve des bombes. La maladie, elle est dans nos attachements: habitudes, idéologies, idéaux, principes, biens de ce monde, phobies, dieux, cultes, religions, peu importe, tout ce que vous voudrez. /…/ Tout ce à quoi nous nous cramponnons – même l’espoir ou la foi – peut aussi bien être le mal qui nous emportera. Il n’y a de reddition qu’absolue: il suffit de se cramponner à la miette la plus infime pour nourrir en soi le germe d’évorant. /…/ Toutes ces pleurnicheries sans fin dans le noir, cette piteuse et insistante prière pour la paix, qui ne cessera de grandir concurremment avec la souffrance et la misère, qu’en attend-on? La paix, les gens s’imaginent-ils que ça s’engrange comme le maïs ou le blé? Qu’on peut se jeter sur elle et la dévorer comme une charogne que se disputent les loups? J’entends les gens parler de paix, avec des visages qu’assombrissent la colère, la haine, le mépris et le dédain, l’orgueil et l’arrogance. /…/ La paix ne régnera que lorsqu’on aura définitivement extirpé du coeur et de l’esprit le meurtre. /…/ Il n’est pas de domaine où nos conquêtes apportent autre chose que la mort. Nous avons tourné le dos au seul règne où se tien la liberté. A Epidaure, dans le silence, dans la grande paix qui m’envahirent, j’ai entendu battre le coeur du monde. /…/Une courte guerre suffit à défaire l’oeuvre de siècles. /…/ C’est toute notre façon de vivre qu’il faut changer, profondément. /…/ Si l’on pouvait distraire de leurs activités tous les chirurgiens, tous les analystes, tous les médicastres et les rassembler quelque temps dans le grand bol d’Epidaure, pour y débattre, dans la paix et le silence, les remèdes de cheval dont a besoin l’humanité, la réponse ne se ferait pas attendre et le cri serait unanime: REVOLUTION. Révolution mondiale, de fond en comble, dans tous les pays, toutes les classes, tous les domaines de la conscience. /…/ L’ennemi de l’homme, ce ne sont pas les microbes: c’est l’homme lui-même, avec son orgueil, ses préjugés, ses stupidités, son arrogance. /…/ C’est nous-mêmes qui, par notre conception mesquine et étroite de la vie, avons fait de nous des esclaves. »
« Le Colosse de Maroussi » d’Henry Miller. Traduction définitive de Georges Belmont. Ed. Le Chêne, 1958